L’ANNÉE MARIALE par la Mère de Chaugy

Nous ne devons rien admettre dans nos petites dévotions particulières que ce qui est de la très-pure vérité catholique, de la tradition incontestable et du sentiment des Pères. Or, il est certain que Marie, Mère de Dieu, est plus une Fille de la grâce que de la nature ; il est certain que la Providence voulut qu’elle fût un fruit de prières et d’attentes, puisque son père et sa mère étaient âgés, et ne croyaient plus avoir lignée quand le ciel leur donna cette sainte pouponne. Les contemplatifs assurent que l’Ange Gabriel commença sa commission pour le mystère de l’Incarnation par une apparition à sainte Anne et à saint Joachim, et qu’il leur révéla le nom qu’ils devaient donner à la Fille dont le ciel les voulait bénir. Cette grâce ayant été faite à sainte Élisabeth et à saint Zacharie pour saint Jean-Baptiste, nous pouvons penser pieusement qu’elle n’a pas été déniée à sainte Anne et à saint Joachim, grand-père et grand-mère de l’Homme-Dieu. Disons donc aujourd’hui avec ferveur : « Ô Adonaï, Conducteur de la maison d’Israël, faites croître à la bonne heure, dans la terre stérile de Joachim et d’Anne, ce buisson ardent, le sein de Marie, d’où vous nous devez paraître et nous sauver par l’extension de vos bras en la Croix ! »

Honorez aujourd’hui sainte Anne comme la plus bénie entre les femmes après Marie, parce que, étant choisie pour donner au monde l’Étoile du matin, l’Astre de bonne espérance, l’Aurore qui devait enfanter le Soleil de justice, elle a reçu une part singulière, en qualité de mère de Marie, aux mystères de notre Rédemption. C’est dans le flanc de sainte Anne que Marie a été conçue sans péché et prévenue des bénédictions de la divine Douceur. Ô glorieuse sainte Anne, je crois que la divine Miséricorde, qui sanctifia dans votre sein la Fille de votre cœur, sanctifia votre âme d’une manière qui, jusque-là, avait été inconnue. L’Esprit de Dieu, bénissant la Fleur de Jessé, sur laquelle il devait reposer et qui devait produire le Fruit de vie, bénit sans doute la racine et le tronc duquel elle tirait son être naturel, et nous pouvons dire aujourd’hui avec ferveur : « Ô Marie ! racine de Jessé, vous êtes le signal des peuples ; les plus grands rois de la terre, venant adorer Jésus-Christ sur vos genoux, dans une étable où vous paraîtrez sa Mère, se tairont par respect en votre présence, ou, s’ils parlent, ce sera pour vous dire : Ô sainte Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs ! »

Honorez aujourd’hui la glorieuse sainte Anne et saint Joachim dans cette vérité de l’Évangile : Que le bon arbre porte de bons fruits, et voyez combien cet arbre a été précieux qui a produit cette pomme du ciel. Ah ! l’excellente production ! Glorieuse sainte Anne, vous nous rendez la pomme sanctifiée en place de la pomme de péché. Ô vigne fructifiante ! ô très-douce olive ! votre douceur va être le baume précieux qui guérira toutes les morsures de l’ancien serpent, et je vous puis dire avec toute la ferveur de mon âme, ô Vierge : Ce sera entre vos mains que la clef de David sera premièrement remise ; quand vous tiendrez la première le doux Jésus pour l’envelopper de bandelettes, comme attachant cette divine clef qui ferme et personne ne peut ouvrir, qui ouvre et personne ne peut fermer. C’est de vous, ô arbre sacré, que sera divinement taillé ce sceptre précieux de la maison d’Israël. Venez et nous délivrez, par votre Fils, de l’ombre de la mort !

Occupez-vous aujourd’hui avec joie à voir les préparatifs que la glorieuse sainte Anne faisait pour mettre au jour sa chère Fille et en disposer le berceau et les langes ; avec quelle dévotion cette sainte matrone prenait-elle cette occupation ! Saint François de Sales veut que nous fassions une préparation toute spéciale pour la naissance de Marie. « Hélas ! dit-il, cette sainte Princesse naissante ne veut être posée que dans les cœurs abaissés par l’humilité, avilis par cette simplicité que le monde ne connaît point et élargis par la charité. » Saluons cette Vierge en disant : Ô belle Aurore, qui sortez de l’Orient pour nous prédire et pour nous enfanter la lumière du Soleil de Justice, venez et illuminez ceux qui sont assis à l’ombre de la mort du péché !

Honorez la Sainte Vierge dans les neuf mois de sa prison ès entrailles de la glorieuse sainte Anne. Elle y possédait toute la raison de l’âge parfait et toute la perfection d’une âme sanctifiée ; aussi faisait-elle méritoirement les actes de toutes les vertus. Le flanc de sainte Anne, sa mère, était pour elle un oratoire et un temple où elle sacrifiait à Dieu la plus pure oraison qui lui eût jamais été présentée. Ô Vierge Sainte ! premier miracle de vertu cachée, de sujétion et de captivité, donnez-moi part à vos premiers actes et permettez que je vous dise : Ô Mère du Roi souverain, du Désiré de toutes les nations, Mine sacrée dont le Saint-Esprit tirera la pierre angulaire qui fera l’union des deux natures ensemble, venez travailler au salut de l’homme, qui a été formé du limon de la terre !

Réjouissez-vous aujourd’hui avec toute l’Église de la venue de Marie ; faites avec une spéciale dévotion sa bienvenue. Oh ! quelle a été longuement attendue cette Fille de Sion, et que toute la terre en avait de nécessité ! Cette Sainte Vierge attendait humblement et patiemment le moment destiné de Dieu pour sortir de sa prison naturelle. Plusieurs dévotes et dévots serviteurs de cette Sainte Vierge assurent que, comme elle avait été conçue sans péché, elle demeura dans le sein de sa mère le temps ordonné par la divine Providence ; mais que, comme c’était une fille de sainteté et de délices sacrées, elle n’incommoda jamais celle qui devait être assez heureuse pour l’appeler sa fille. Ô Vierge très-aimable, si votre mère eut quelque peine, elle fut plus aimable et plus sainte que toutes les consolations et tous les plaisirs de la vie ! Disons aujourd’hui dévotement : Ô Mère de l’Emmanuel, notre Roi et notre Législateur, l’attente de toutes les nations, venez commencer notre salut, ô Vierge, Mère du Seigneur notre Dieu !

Unissez aujourd’hui votre cœur à toute l’Église par une intention et affection nouvelle, et, en corps et en esprit avec tous les fidèles, allez au temple faire la bienvenue à la très-sainte Vierge. Offrez-lui promptement l’hommage de votre fidélité ; lisez avec une attention spéciale l’antienne de laquelle l’Église se sert pour témoigner sa joie en la naissance de cette Reine ; redites-la dévotement dans votre recueillement et répétez, du plus pieux sentiment de votre âme : Nativitas est hodie, etc.

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge comme l’accomplissement de toutes les prophéties ; cette Vierge a été prévue et prédite par les saints prophètes tout autant de fois qu’ils ont prévu et prédit la venue de Jésus-Christ. Saluez donc aujourd’hui cette belle et légère nuée qui commence à paraître sur la terre pour pleuvoir le JUSTE ; saluez cette terre exempte de toute malédiction et qui doit germer le Sauveur.

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge dans la propre pensée de saint François de Sales, qui veut que, pendant l’Octave de la naissance de Marie, on parfume spirituellement son berceau de plusieurs pratiques de vertus, de roses de charité, de violettes d’humilité, de saints soucis de complaire à cette Sainte Vierge, c’est-à-dire de jeter sur son berceau mille et mille pratiques de vertus différentes, selon que Dieu nous en présentera l’occasion.

Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge entre les bras de la bonne vieille sainte Anne. Cette céleste pouponne faisait un entier discernement de l’état d’enfant, qu’elle menait pour obéir à Dieu, et de celui qu’elle aurait pu mener, étant prévenue de l’usage parfait de la raison. Ô Marie ! vous avez commencé dès le sein de votre mère, et dès la mamelle, à vivre d’une vie surnaturelle de grâce et d’application qui rendait méritoire toutes vos actions enfantines. Donnez-moi part à votre sainte enfance, puisque c’est une des plus pressantes maximes de notre loi évangélique, de devenir comme un petit enfant, si nous voulons avoir part avec l’Homme-Dieu, Fils de Marie.

Honorez aujourd’hui la très-sainte soumission et indifférence de Marie : elle se laissait lever, coucher, bercer et faire toutes les autres choses requises autour d’un enfant. Surtout considérez-la pliée et captive dans ses langes. Ah ! Vierge Sainte, votre enfance est comme un petit prélude de l’état d’enfance de l’Homme-Dieu, et devrait être le modèle de toute notre vie, si nous vivions comme le prince des Apôtres nous ordonne, à la manière des enfants nouveaux-nés à la grâce, sans dol, sans fraude, nourris seulement du lait de la divine intelligence de votre sainte et surnaturelle enfance et de celle de l’Homme-Dieu, votre Fils.

Regardez aujourd’hui la très-sainte Vierge sommeillant dans son berceau ; elle est plutôt ravie qu’endormie, et je crois que l’Époux divin la voyait en cet état, lorsqu’il disait : N’éveillez pas ma Bien-Aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille bien ; c’est-à-dire, ô sainte Anne ! jusqu’à ce que vous aperceviez, par quelque soupir amoureux qui sortira de sa sainte bouche, qu’il est temps de donner une trêve apparente à sa divine contemplation. Sainte Vierge, votre berceau était moins le lieu de votre repos que votre oratoire ; mais vous avez voulu m’enseigner de bonne heure que tous les lieux sont bons à la prière, quand l’âme s’applique à Dieu intérieurement. Et, comme nous disait notre vénérable Mère de Chantal : Il ne faut pas toujours être à genoux pour faire l’oraison ; elle se peut faire en tous lieux, en tous temps, au lit, au berceau et partout.

Les Antiennes et les Commémorations de la sainte Église durant cette octave nous signifient que la naissance de la Sainte Vierge apporta une grande joie à toute la terre, et c’est une chose probable et bien fondée en raison que les parents et voisins de sainte Anne vinrent la congratuler et voir l’enfant qu’elle avait donnée au monde. Les filles de Sion accoururent de toutes parts, comme dit l’Écriture, et ne purent parler d’autre chose que de la beauté et bonne grâce de cette pouponne, et l’on nommait sa mère, sainte Anne, bienheureuse de l’avoir mise au monde. Qui ne se réjouirait, ô Marie, de voir celle qui vient lever la malédiction et confondre la mort, donner la bénédiction et apporter la vie et le salut !

Joignez aujourd’hui votre cœur aux chœurs des Anges et des hommes, pour faire, dans l’unité de l’Église, l’octave de cette sainte fête, et dites, le plus souvent que vous pourrez, les antiennes employées à son honneur.

L’octave de la sainte Nativité de la Vierge étant achevée, faites aujourd’hui comme les principaux amis d’une famille, qui ne se contentent pas d’aller rendre leur visite avec l’assemblée générale des parents et voisins, mais qui cherchent quelque temps pour aller seul à seul et familièrement faire leurs congratulations d’une bonne fortune et apprendre les petits secrets d’une grande affaire qu’on ne dit qu’aux amis particuliers. Entretenez saint Joachim et sainte Anne cœur à cœur ; faites-leur mille congratulations sur le bonheur de La DÉSIRÉE des NATIONS qui leur a été donnée pour comble de bénédiction en leur vieillesse. Ils diront à votre âme quelque chose de cette petite Vierge qui vous consolera.

Employez cette journée à supplier très-humblement la glorieuse sainte Anne de vous recevoir pour très-humble servante de sa petite princesse, et de vous inscrire pour jamais sur l’état de sa maison spirituelle ; car cette jeune Reine vient pour régir un royaume de vie cachée, dont les premières lois seront d’adorer et de servir Dieu en esprit et en vérité. Prêtez le serment de fidélité à cette Souveraine et l’assurez que vous ne prétendez autre gage ni salaire de vos services que son amour et celui de son Fils.

Notre Père saint François de Sales dit : Que l’amour sacré est riche en inventions de piété. Aujourd’hui, comme bonne servante de Marie, cherchez l’invention et l’occasion de lui rendre quelques petits, mais agréables services ; prenez la liberté de chanter proche de son berceau quelques-unes des hymnes ou des cantiques composés à son honneur.

Priez aujourd’hui la glorieuse sainte Anne qu’elle vous confie la garde de sa sainte Fille, et, seule à genoux devant son berceau, entretenez-la. Bien qu’elle ne vous dise mot, elle vous entendra, vous saura gré de votre entretien, vous fera part de ses premières faveurs, tournera sur vous ses yeux miséricordieux et colombins, qui causeront un grand calme dans votre cœur, et vous apprendra le silence parfait, qui est de se taire, par humilité et par abnégation, dans les temps et dans les lieux où l’on pourrait parler sans faute.

Trouver aujourd’hui l’invention de faire quelque présent à la Sainte Vierge. Les enfants aiment la douceur ; faites-en plusieurs actes, comme aussi de charité et de bonté envers le prochain, car cette sainte Épouse a le miel et le lait sous la langue, et, comme elle est l’avant-courrière de Jésus, elle se nourrit aussi mystiquement que lui, suivant ce que dit le Prophète, de beurre et de miel, pour élire toutes sortes de bien et pour repousser toutes sortes de mal.

Saint Ambroise et d’autres Pères veulent que la Sainte Vierge soit née aux champs et parmi le bêlement des brebis. Réjouissez-vous intérieurement aujourd’hui dans cette pensée ; car c’est signe que cette Fille de grâce sera la Bergère du troupeau de grâce et la Mère du Pasteur, de l’Agneau de Dieu. Apprenez à aimer la simplicité, la rusticité vertueuse, les lieux pauvres, petits, champêtres, éloignés des grands et de ce que les enfants du siècle appellent ordinairement le grand monde et le beau monde. Demeurez volontiers à l’écart et en retraite auprès de cette jeune princesse, qui n’eut jamais rien de puéril et qui a toujours été à tout âge le toute uniquement parfaite.

Quand les rois ou les reines arrivent dans leur royaume, tous les sujets crient : Vive le Roi ! Ou Vive la Reine ! La Sainte Vierge, en sa naissance, vient pour être Reine du ciel et de la terre ; destinez donc ce jour à faire autour de cette jeune Princesse le cri intérieur de respect et d’amour : Vive la Vierge conçue sans péché ; vive la Vierge naissante pour fouler au pied le serpent infernal ! Vive la Reine dans le Cœur du Roi de l’éternité, qui règnera uniquement et éternellement en son âme !

C’est aujourd’hui le jour de la grande et tendre dévotion des amateurs de Marie, puisque c’est le jour auquel, selon la coutume des Hébreux, le nom fut imposé à la belle pouponne de Joachim et d’Anne. Ô mon cœur ! mettez-vous aux écoutes pour ouïr le nom glorieux qu’on impose à cette céleste Princesse. Conformément à la dignité et à l’office que le ciel lui a destiné, Marie sera son nom. Ah ! que je m’en réjouis, Sainte Vierge ! Permettez que je célèbre une octave à l’honneur de ce saint nom et que mon cœur répète incessamment ce mot : Je vous salue, Marie, Mère de Dieu.

Nous devons apprendre de Marie et de Joseph à prononcer comme il faut le nom sacré de Jésus, et, de Joachim et d’Anne, à bien prononcer le saint nom de Marie, puisque c’est à eux que le ciel l’a révélé. Ce sont eux qui, de la part de Dieu, le lui ont imposé ; ce sont eux qui, le plus souvent et le plus saintement, ont prononcé ce doux nom de Marie. Faites aujourd’hui quelque dévotion à saint Joachim et à sainte Anne, afin qu’ils vous apprennent à bien prononcer ce très-saint nom de Marie. Faites-leur des congratulations et dites : Ô saint Joachim, ô sainte Anne, heureux et mille fois plus heureux d’avoir imposé à votre sainte fille le doux nom de Marie que ne fut Adam même dans l’innocence, d’avoir l’intelligence et le droit de nommer toutes les choses créées et visibles ! Mon âme aime mieux avoir l’intelligence des noms sacrés de Jésus, Marie, Joseph que la science de tout ce qui a l’être visible et toute la philosophie des savants.

Prenez ce jour-ci pour faire l’anagramme du doux nom de Marie, et voyez avec complaisance que dans notre langue française, qui dit Marie, dit aimer. Aimer, c’est Marie ; Marie, c’est aimer. Ô Marie ! ô Amante ! ô Aimable ! Je me réjouis de ce que l’amour se trouve dans votre saint Nom ; ainsi on ne peut parler de Marie sans parler d’aimer ; je crois que c’est pourquoi Marie est nommée la Mère de belle dilection et de sainte espérance. Toutes les fois que je prononcerai ce nom très-auguste, je prétends que ce soit une solennelle protestation que j’aime et que je veux aimer Marie.

Entrez aujourd’hui dans la considération des diverses interprétations qu’on donne au nom sacré de Marie, et votre âme trouvera son goût principal dans la pensée de notre Père saint François de Sales, qui dit que MARIE VEUT DIRE MÈRE UNISSANTE, d’autant que c’est par cette Mère et dans son sein que le Verbe s’est uni hypostatiquement à la nature humaine pour notre salut. Par Marie, le Verbe s’est fait chair et nous pouvons dire : Ô Jésus, soyez-moi Jésus, c’est-à-dire, soyez-moi Sauveur, et d’ajouter aussi : Ô Marie, soyez-moi Marie, c’est-à-dire soyez-nous MÈRE et nous unissez à Jésus, votre Fils, afin qu’il soit notre Époux et que nous soyons ses épouses. Ô Mère unissante, chassez pour jamais le divorce d’entre vos enfants. C’est vous qui nous avez jointes et unies ensemble, dit notre Père saint François de Sales, et qui blesse cette union gâte l’ouvrage de Marie en nos âmes.